Dans un trou, vivait… Ovide (Bereishit, #12)

2014-08-14 13.19.50
Agrandissement d’une page de Joseph Anton : une autobiographie par Salman Rushdie

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Balbutiements, éructations, bredouillements, ânonnements, hoquets… Ly l’a le a due il y a… il était des fois… il était une fois… les mots se regroupent en phrases, en paragraphes, en chapitres, parfois construisent de véritables sagas… d’apprentissages, de transmissions de ce qui est, ce qui pourrait et ce qui ne devrait pas être… mais la sagesse de ces constructions de mots est rarement perçue, écoutée, entendue… le tribal est le lot commun… le noir et blanc une manie antédiluvienne de comprendre… secte, religion, parti : synonymes terribles de ce morbide tribal humain… ennemi des couleurs et de leurs foisonnements… nous ne vivons pas encore parmi les couleurs… celles de tous les livres… quelques-uns nous les montrent telles qu’elles sont, nous les définissent de diverses manières… souhaitant nous les transmettent… Ce monde est en couleurs malgré ce quidam universel qui essaie de nous contraindre à le voir autrement… Ly l’a le a due il y a… nous ne sommes pas encore encore entrés dans le monde de l’histoire… préhistoriques, sommes toujours… La chasse au mammouth reste notre quotidien. Au commencement, sommes encore…

« La littérature s’efforçait d’ouvrir l’Univers, d’augmenter, ne serait-ce que légèrement, la somme de ce que les êtres humains étaient capables de percevoir, de comprendre, et donc, en définitive, d’être. La grande littérature s’aventurait aux frontières du connu et repoussait les limites du langage, de la forme, des possibilités pour que le monde se sente plus grand, plus vaste qu’auparavant. On était cependant à une époque où les hommes et les femmes étaient poussés vers des définitions plus étroites d’eux-mêmes, où ils étaient encouragés à revendiquer une seule identité, Serbes ou Croates, Israéliens ou Palestiniens, Hindous ou Musulmans ou Chrétiens ou Baha’i ou Juifs, et plus leur identité rétrécissait, plus le risque de conflit entre eux était grand. La vision qu’avait la littérature de la nature humaine encourageait la compréhension, la sympathie, l’identification avec des gens différents, mais le monde poussait les gens dans la direction opposée, vers l’étroitesse, la bigoterie, le tribalisme, l’esprit de culte et la guerre. Il y avait quantité de gens qui ne voulaient pas que l’Univers soit plus ouvert, qui souhaitaient en fait qu’il soit davantage refermé sur lui-même, et lorsque les artistes travaillaient sur les frontières pour tenter de les repousser, ils se heurtaient souvent à de puissantes forces qui leur résistaient. Et pourtant ils faisaient ce qu’ils avaient à faire, même au prix de leur bien-être et, parfois, au prix de leur vie.

Le poète Ovide fut exilé par Auguste dans un petit trou perdu de la Mer Noire appelé Tomis. Il passa tout le reste de sa vie à supplier qu’on le laisse rentrer à Rome, mais la permission ne fut jamais accordée. La vie d’Ovide fut anéantie, mais sa poésie survécut à l’Empire romain.« 

Dans un trou, vivait un écrivain…

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Silence / Bereishit 12

Extrait en italique de Joseph Anton : une autobiographie / Salman Rusdie. – Paris, Plon, 2012. – p. 720.

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