BPI Beaubourg veille par Laurent Margantin (Vases communicants, juin 2013)

C’était les nuits et les week-ends. A circuler entre les cabines où ils étaient assis casque sur la tête, plongés loin. Labo de langues, des dizaines de langues sur des cassettes qu’on allait chercher sur des étagères derrière nous. Quelle langue écoutait-il répétait-il recroquevillé sur lui-même les yeux clos, quelle langue apprenait-elle courbée ainsi dans sa cabine son manteau sur le dos, des voix des chuchotements qui volaient au-dessus de nous et se mêlaient. La nuit au ciel vitré en face, sans étoiles. Les hommes assis par terre, plusieurs endormis à cette heure, quelle langue rêvaient-ils. Ces hommes, des errants qu’on laissait entrer dans la bibliothèque, et sous la lumière jaunâtre dormir. Langues qu’on écoutait tout bas, ou une seule langue enfouie, de l’autre côté. Allées où l’on avançait sans trop savoir ce qu’on cherchait, d’autres hommes allongés qui parlaient dans leur sommeil. Assis face à eux dont les mots de désespoir grondaient. Certains criant quand on devait leur dire de céder la place aux prochains, ils ne voulaient pas lâcher le casque. Murmures, bruissements, voix. On devenait silencieux. Des bavardages en début de soirée puis silence à écouter les langues. Extérieures, puis peu à peu elles s’approchaient de nous, inconnues, nous guettaient à leur tour. L’Indien qui veillait là depuis des années, je suis en petits morceaux à l’intérieur, quelle langue rêvait-il, ou bien veillait-il lui aussi seulement. D’autres qui comme moi ou plutôt comme toi devenu inconnu ne resteraient qu’un temps à veiller dans la bibliothèque, jeunes encore et pas sûrs de savoir écouter. Parlaient donc puis se taisaient, s’emplissaient des murmures de la bibliothèque. Des pas dans la tête, on continuait à avancer dans les allées, on lisait des mots inconnus sur les visages, dans les yeux des signes lointains, à peine lisibles. On n’entendait pas la nuit de la ville derrière les grandes vitres. Le monde était mort dehors. On veillait en silence la langue des autres tout autour, endormis, on restait au bord de leur rêve.

Laurent Margantin

Bienvenue à Laurent Margantin pour un échange autour des bibliothèques. Laurent Margantin a plusieurs blogs sur internet : œuvres ouvertes sur lequel vous trouverez mon vase : « Souvenirs de la bibliothèque du futur« . Mais Laurent Margantin est aussi traducteur. Traducteur d’allemand. Il a traduit plusieurs ouvrages de Kafka, publiés chez Publie.net et actuellement, et je vous invite à suivre son nouveau chantier : une nouvelle traduction du Journal de Kafka. Bienvenue à toi, Laurent…

Les vases communicants ?

  • Tiers Livre (http://www.tierslivre.net/) et Scriptopolis (http://www.scriptopolis.fr/) sont à l’initiative d’un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
    Beau programme qui a démarré le 3 juillet entre les deux sites, ainsi qu’entre Liminaire de Pierre Ménard (http://www.liminaire.fr/) et Fenêtres / open space d’Anne Savelli (http://fenetresopenspace.blogspot.com/…).

    Si vous êtes tentés par l’aventure, faîtes le savoir ici..

Et les lectures de ce mois sont à poursuivre ici.

Bonnes lectures

Silence

2 réflexions sur “BPI Beaubourg veille par Laurent Margantin (Vases communicants, juin 2013)

  1. Maintenant, à la BPI, il faut patienter dans la file d’attente des fois plusieurs heures : mais une webcam permet de voir depuis chez soi comment ça se passe « sur le terrain » et quelles sont les plages horaires les plus attractives (on aime beaucoup les plages à Paris).

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