La nuit se déchire par le centre par Justine Neubach (vases communicants)

C’était il y a longtemps et nous marchions de nuit. Dans une fausse nuit. On nous mentait l’obscurité : dans les villes, elle brillait, orangeâtre et salie, contre une coupole sans étoiles. Et l’on nous mentait le repos et l’on nous mentait le silence, alors un soir, d’un tacite accord, nous partîmes. Vers loin. Sans bruit. Nous étions mille.

Je me souviens que nous avions quitté la ville en longeant le bord de la route ; et qu’il passait, parfois, un nuage de lucioles tapissées de rideaux.

J’ai mémoire du silence qui tombe, celui d’après tous les villages, derrière les fermes reculées, loin encore, à l’orée d’un bois, d’un fredonnement sans paroles par la voix de la brise.

Plus tard, nous nous assîmes en retrait d’un lieu-dit. Adossés contre une souche, avec la nuit pour édredon ; et dans ces si grandes campagnes, nous ne pouvions plus être nus, ni non plus seuls, ni loin de rien, ni si petits.

Nous y demeurâmes longtemps. Je songeais « sous nos pieds le soleil bat encore », je m’assoupissais un moment, c’était alternance de quiétude et de vertiges en sursaut. J’entendais des respirations, le seul véritable silence qui soit encore vivant, vivable. Un rire discret tintait, petite étoile sonore. Je sentais parfois la caresse d’un ou deux chuchotements. Puis l’air alentour se mit à bleuir.

Il existe un éventrement de la nuit : sur son obscure paroi, une ligne, dont tout part, et autour de laquelle on sent augmenter la tension entre le ciel d’aube et la terre, en refus, qui se braque de toute sa noirceur. L’œuf se fendille soudain. L’horizon apparaît. On se trouve aux créneaux du jour. Tout va lent à se détacher. Puis s’élève un cri jaune soleil, la nuit se déchire par le centre, point d’or, rayons trouant la dentelle d’arbres ensommeillée. Les larmes montent aux herbes des campagnes à nu. Faut-il rester, faut-il voler, faut-il chanter ? Que faut-il dire. (Silence).

Je me souviens dans quel état de fatigue hallucinée nous nous relevâmes, asynchrones au possible, titubants d’un étrange bonheur. C’était il y a longtemps. Nous nous dirigeâmes vers la ville pour y endosser, à nouveau, nos rôles diurnes. Certains d’entre nous fredonnaient.

Justine Neubach

 Postface :

« Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. » Vases Communicants.
Pour ce nouveau vase communicant, avec Justine Neubach, nous n’avions pas défini de thème. Juste une contrainte. Chacun irait chercher une ou plusieurs photographies dans les albums photos de l’autre. Et, puis, écrirait sur la photo choisie. La nuit. La recherche du silence, du noir profond de la nuit : « On nous mentait l’obscurité ». J’accueille ici Justine qui accueille mon texte : Vers un ailleurs tout près de chez vous sur son site atelier de textes, de lectures et d’images. Bienvenue Justine. Et merci pour ton accueil. Franck Queyraud (Silence)

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