Promenade (en ré mineur) : houleuse improvisation

« Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. » Vases Communicants. J’accueille ce jour Jérémie Szpirglas qui publie en parallèle mon vase sur son inachevé.net. Bienvenue Jérémie… et plaisir d’entendre des échos dans nos deux promenades.

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Elle se dérobe. Je la manque. De peu.

Tout cela est affaire de chance — de frôlements et battements imperceptibles, qu’on appelle ça comme on voudra. Certains y voient une transcendance à l’œuvre — quant à moi je n’y vois qu’un pied devant l’autre, pas beaucoup plus loin que le bout de mon nez (la rue est étroite et sinueuse, avare en lumière).

Je me rattrape.

Rugissement soudain — me retourne, une silhouette noire sertie de deux petits yeux éblouissants déboule, passe dans un souffle, s’évanouit. Le froid l’a chassée — à moins qu’elle ne se soit bannie d’elle-même. Mieux vaut toujours ça que de tourner en rond en bougonnant.

Je reprends.

Un pied devant l’autre — j’essaie de ne pas trop y penser, ça me déconcentre, je n’arrive plus à lire. Je trébuche — un nouveau pavé s’est disjoint, mais rien n’en sort (j’étais pourtant plein d’espoir), je pense à ce voyage à Venise que je repousse depuis si longtemps (mais il vaut beaucoup mieux être seul pour ce genre d’excursions), je pense à Stravinsky, aussi, qui sait pourquoi.

Finalement, je ne connais pas cette rue aussi bien que je l’aurais cru.

Le froid commence à mordre une ou deux phalanges — il s’amuse. Toutes les trois secondes — intervalle régulier, métronome désespérément lent —, un nuage de condensation brouille mon regard, mêle les signes, fait danser les lignes — ce n’est pas comme ça que j’arriverai à finir mon chapitre. La page est presque tiède sous mes doigts. Le regard attentif au-delà du verbe à la rumeur sourde de la ville endormie, un rare corbeau m’accompagne silencieusement — je ne comprends pas ce qu’il dit.

Je suis l’(h)appât : le trottoir est vide.

Mes chaussures sont silencieuses — on dirait deux chats (sans pantoufles) —, je guette quelque claquement de bottes (et pourtant, aucun python en vue), une touche de douceur clinquante me siérait assez. Peine perdue. Mon corps n’en est pas moins heureux d’entrer dans la danse — sur la page fut un jour écrit : « ses muscles roulaient sous sa peau, réactifs et merveilleusement asservis », et depuis cette phrase me vient à l’esprit à chaque fois que j’entends mon corps chanter du bonheur d’être mis en branle, sollicité, mis au défi, engagé.

Un jour, je le ferai. Les yeux fermés.

Suspendre la pensée, laissant à mon insu affluer les réminiscences — senteurs, reflets, dominé par ce mouvement qu’on ne sait plus consciemment discerner tant on est habitué  à l’ignorer, tâche aveugle de nos sens. Puis ce n’est plus que sensualité — et la ville est à moi.

Je souffle, prends un pied. Devant l’autre.

 

Jérémie Szpirglas, 7 janvier 2011.

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Liste des autres participants à ces premiers vases communicants de 2011:

Juliette Mezenc http://juliette.mezenc.over-blog.com/ext/http://motmaquis.net/ et Christine Jeanney http://tentatives.eklablog.fr/ce-qu-ils-disent

Christophe Grossi http://kwakizbak.over-blog.com/ et Michel Brosseau http://www.àchatperché.net/

François Bon http://www.tierslivre.net/ et Laurent Margantin http://www.oeuvresouvertes.net/

Martine Sonnet http://www.martinesonnet.fr/blogwp/ et Anne-Marie Emery http://pourlemeilleuretpourlelire.hautetfort.com/

Anne Savelli http://www.fenetresopenspace.blogspot.com/ et Urbain, trop urbain http://www.urbain-trop-urbain.fr/

Murièle Laborde-Modély http://l-oeil-bande.blogspot.com/ et Jean Prod’hom http://www.lesmarges.net/

Jérémie Szpirglas http://inacheve.net/ et Franck Queyraud https://flaneriequotidienne.wordpress.com/

Kouki Rossi http://koukistories.blogspot.com/ et Jean http://souriredureste.blogspot.com/

Piero Cohen-Hadria http://www.pendantleweekend.net/ et Monsieuye Am Lepiq http://barbotages.blogspot.com/

Marie-Hélène Voyer http://metachroniques.blogspot.com/ et Pierre Ménard http://www.liminaire.fr/

Frédérique Martin http://www.frederiquemartin.fr/ et Francesco Pittau http://maplumesurlacommode.blogspot.com/

Jean-Yves Fick http://jeanyvesfick.wordpress.com/ et Gilles Bertin http://www.lignesdevie.com/

Candice Nguyen http://www.theoneshotmi.com/ et Benoit Vincent http://www.erohee.net/ail

Nolwenn Euzen http://nolwenn.euzen.over-blog.com/ et Joachim Séné http://www.joachimsene.fr/

Isabelle Pariente-Butterlin http://yzabel2046.blogspot.com/ et Xavier Fisselier http://xavierfisselier.wordpress.com/

Christine Leininger http://les-embrasses.blogspot.com/ et Jean-Marc Undriener http://entrenoir.blogspot.com/

Samuel Dixneuf http://samueldixneuf.wordpress.com/ et Philippe Rahmy-Wolff http://kafkatransports.net/

Lambert Savigneux http://aloredelam.com/ et Lambert Savigneux (ben oui) http://regardorion.wordpress.com/

Catherine Désormière http://desormiere.blog.lemonde.fr/ et Dominique Hasselmann http://dh68.wordpress.com/

Christophe Sanchez http://fut-il-ou-versa-t-il.blogspot.com/ et Brigitte Célérier http://brigetoun.blogspot.com/

et

sur twitter et en 9 twits chacune, Claude Favre @angkhistrophon et Maryse Hache @marysehache  (elles ont choisi de publier  les deux textes chez celle qui a un blog : Maryse Hache http://www.semenoir.typepad.fr/)


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