Kaléidoscope…

« Keith Richards disait que le seul livre à lire, c’est la nuit qui te le tend, et les mots aussi sont une nuit. » Je lisais. J’écrivais. J’étais à ma place, à l’oloé où je suis souvent quand il fait beau, que j’ai un peu de temps ou…  que je le prends ce temps. Je pensais au kaléidoscope. Je me demandais par quel biais, nous – nous, car nous étions deux – commencerions à écrire ce livre sur la photographie. Nous hésitions. Il serait écrit à quatre mains, quatre yeux : deux regards, complémentaires, kaléidoscopiques. En lisant ces conversations réelles ou imaginaires entre le guitariste mythique et l’écrivain biographe des pierres qui roulent, j’écrivais le début de ce billet sur twitter, comme les mots me venaient, inspirés par la lecture et la douce musique qui se dégageait de ce texte. Les twittais avec comme hashtag : #kaléidoscope – balise pour se repérer dans le fleuve qui jamais, ne cessait de couler – ainsi : Me suis toujours senti attiré par la face B de la vie, des êtres ou des choses… et dans un kaléidoscope, il n’y a que des faces B et aucune face A. Je pensais à toutes ces photographies prises partout, à tout moment, avec une grande facilité, par des millions d’individus, comme autant de regards sur le monde. C’était nouveau cela, remettait en cause nos conceptions de l’unique ou la définition du mot art. Walter Benjamin avait déjà parlé de reproductibilité mais on était déjà ailleurs. C’était autre chose qui se passait. Le kaléidoscope me semblait être le symbole matériel de cette nouvelle manière de faire signe, de garder traces, de dire : je suis là, j’existe, regarde-moi. Toutes les photographies du monde étaient un gigantesque kaléidoscope, racontaient notre monde, notre temps, joies et désespoirs. Je poursuivais ma quête (Richards) : « 0n va vers soi-même à reculons, la main sur les yeux pour ne pas voir ces ruines qu’on laisse. » disait K. Richards à F. Bon sur @publie.net. Est-ce pour cela que l’on écrit, que l’on peint, que l’on photographie ? Je n’étais pas tout à fait certain que la photographie ne soit qu’une ruine du temps. Plus le temps avancait, moins je savais.  On avait dû mal à l’admettre mais le baroque régnait en maître. L’ascèse n’était qu’une passade bien triste. J’hésitais. Je passais de l’âne au coq, ou bien, c’était l’inverse. Mais, ici, c’était journal, et je suivais le fil de mes pensées. Je me demandais comment on pourrait renouveler la critique de livres en parlant des livres numériques que l’on aimaient. Alors autant l’intégrer directement cette critique dans un autre travail, et donner le goût autrement… Un des avantages du numérique – me semblait-il, était cet oubli de la matérialité « sociale (très sociale) », « sacrée (très sacrée) » du livre et l’on était bien obligé avec le numérique de se concentrer sur le sens, le contenu et la lecture. Bien sûr, on pouvait toujours « se gausser » en possédant la dernière tablette à la mode. Une certaine marque était passée maître dans l’art de jouer de la corde la plus sensible de nos mauvais instincts. Et nous, de plonger ou plutôt de croquer la pomme proposée, dans un mauvais remake antédiluvien… Mais l’essentiel n’était pas là : le numérique avait remis au premier plan : et le contenu, et  la lecture. On relisait les livres, on accédait à des livres perdus sur des étagères, des livres non réédités. Certains tentaient de freiner ses nouvelles pratiques, mais ils étaient d’un monde finissant. Fini alors, dans les demeures bourgeoises, les étagères de Pléiade au salon ? On allait tout de même pas aligner des étagères de tablettes tactiles pour faire croire que l’on était cultivé. L’extrême Occident était noyé dans ses mirages. Un remugle d’anti-mites titillait nos narines. Heureusement, il restait toujours un petit chemin pour passer,  pour faire passer cet étrange objet : la littérature. Peu de gens y croyait. Le brillant n’était pas encore codé à cet endroit. « Qui se contente d’écrire des mots ne saura jamais ce que c’est d’être rongé par un seul, jusqu’au silence, disait KR à FB» Je lisais ; j’écrivais… La mémoire est une longue et lente et douce litanie qui s’efface peu à peu…jusqu’à l’absence #kaléidoscope. Je lisais, rêvais… entendais du plus profond de ma mémoire adolescente, les riffs étouffés du guitariste mythique, l’énergie de cette voie. « Si j’écrivais un livre de philosophie, ce serait des grilles d’accords. Qui ne comprendraient pas, n’est pas philosophe. » disait KR à FB. Bien entendu, on pourrait voir la face A et la face B en utilisant un miroir et en photographiant mais ce serait tricher. Choisir. Il fallait choisir, une ou plusieurs faces du kaléidoscope… On apprenait aussi dans ce livre que KR n’avait jamais pris de photos… Cela me questionnait sur notre pratique actuelle. Je me retenais mais je prenais parfois des dizaines de photographies, n’en publiant que certaines. Une fois publiées sur les réseaux, j’en étais débarassées. Je les oubliais. Ce n’était alors plus vraiment des photographies prises pour garder mémoire, mais plutôt pour respirer, dire à l’autre, là-bas, de l’autre-côté du monde, regarde, je vois cela : c’est beau, non ? C’était une piste pour le livre sur la photographie… cette distance anéantie par l’instantanée… La victoire sur le temps avait été une conquête récurrente de ce médium ; les temps de pose s’étaient réduits comme peau de chagrin… on était encore loin de la vitesse de la lumière mais on progressait… chaque photographie prise et publiée sur les réseaux participait de ce jeu du temps : de l’instantanéité et de la lumière… et c’était cela, justement, qui était excitant… redéfinir… dégager les sentiers des taillis, retrouver les chemins enfouis… inventer, toujours…

Silence 

Faire signe : journal quotidien jubilatoire  en 200 mots ou quelques… : 113

Lire numérique ? Un des chemins possibles, c’est ici : Conversations avec Keith Richards / François Bon. – Publie.net, 2012.

Voir aussi : 1959, naissance d’un musicien

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